Chemin de Croix
Le mot de l'artiste
A quelques jours du premier vendredi saint après la bénédiction du chemin de croix de Saint Nizier le 21 septembre 2019, c’est un sentiment de joie profonde et de gratitude qui m’anime.
Joie d’être enfin arrivé au bout de ce grand projet qui a occupé presque trois ans de ma vie, et joie d’avoir répondu en serviteur à un appel profond. Quel bonheur lorsqu’un rêve prend chair et devient réel !
Gratitude envers tous ceux qui ont pris part à cette aventure: le Bon Dieu qui a permis ce projet et lui a offert sa croissance, les acteurs des tableaux vivants, les paroissiens et donateurs qui ont fait bon accueil à cette idée à la fois folle et si normale de nous représenter au côtés du Sauveur. Et bien sûr gratitude envers le père Jeanson et sa petite équipe, lui qui sait l’importance qu’une image peut avoir dans la Mission au XXIè siècle.
Ce chemin de croix n’invente rien, mais il actualise une tradition spirituelle et artistique de presque 2000 ans. Car en peignant nos contemporains autour de Jésus souffrant, nous rappelons qu’il vient nous chercher dans notre quotidien, et que le Sacrifice divin est aussi un mystère de chaque jour sur les autels ou dans la chair des chrétiens persécutés qui vivent leur chemin de croix à la suite de Jésus.
Les acteurs qui accompagnent Jésus me ressemblent et me questionnent : « Et toi, quel est ton rôle dans ces quinze scènes et dans ta vie? Es-tu bourreau ou compatissant ? »
Puis en regardant mieux les images, je découvre que les bourreaux font aussi leur chemin de croix en vivant un chemin intérieur, et celui qui frappait devient de station en station homme de compassion qui recueille dans ses bras le Corps martyrisé. Quelle consolation de ne pas enfermer le méchant dans son rôle, mais de lui laisser comme à moi, la chance de changer et de faire le bien…
Les téléphones que les personnages sortent au passage de Jésus m’interrogent aussi : « Quelle est la place de ces écrans dans ma vie ? » Car s’ils permettent de garder un lien avec les personnes que les déménagements et les épidémies ont éloignées de moi, que vaut vraiment ce lien ?
Cette vie dans l’écran, c’est aussi la consommation et le partage d’images voyeuristes, l’isolement de chacun dans un monde maquillé et trompeur, où l’opinion personnelle, la rumeur ou le lynchage de la victime désignée règnent.
Mais tout simplement, mon écran lumineux n’est-il pas devenu mon trésor ? Trésor plus précieux que la présence de l’autre à mes côtés au point de la négliger… Plus précieux et indispensable que la présence de Jésus lui-même ?
Suis-je présent au monde et aux autres essentiellement à travers ce miroir parfois trompeur, ou dans une relation vraie, dans un regard ou un geste où la charité s’incarne pour réconforter? C’est ainsi qu’a aimé le Christ des évangiles, ou la Sainte Véronique qui, essuyant la Face défigurée, lui rend un peu de cet amour offert …
L’image peinte sur un panneau de bois n’a pas ce pouvoir hypnotique de l’image virtuelle qui comme l’étoile, produit sa propre lumière.
La lumière d’une image sainte ne vient pas d’elle-même, mais de la Parole de Dieu.
Cette Parole prend chair dans la pâte de la peinture.
Puis le tableau renvoie le spectateur à la Parole, pour qu’il la redécouvre et l’aime. Elle ne doit pas attirer le spectateur à elle-même ou à son auteur, mais à Jésus. Elle n’est pas objet d’adoration, mais moyen d’adorer le Sauveur, tout comme un évangélisateur ne veut pas attirer à lui celui qui l’écoute, mais au Père.
Le missionnaire que nous sommes chacun appelés à devenir, tout comme le peintre religieux, veulent provoquer une rencontre entre le Créateur et la créature. Ils sont dépassés par la Vérité qu’ils partagent, et la beauté d’un témoignage ou d’une peinture expriment un peu de la Beauté du Dieu trinitaire dont nous parlons.
A chaque période où elle a été très menacée, l’Église dans sa sagesse a utilisé l’image sainte comme un moyen de s’adresser aux brebis éloignées et les ramener au vrai Berger. Le Concile de Trente a ainsi donné un Caravage, un Rubens et l’art baroque ! Et la totalité des dizaines de vitraux de Saint Nizier (-sauf un!) n’ont-ils pas été réalisés après la grande purge révolutionnaire qui avait transformé notre sanctuaire en grenier à blé, et projetait d’en faire un centre commercial ?
Souhaitons que l’Église saisisse cette aubaine extraordinaire et historique d’une image qui devient toute puissante (200 images échangées quotidiennement par un jeune d’aujourd’hui, 7 milliards dans le monde), nous éloignant chaque jour un peu plus de l’Ecriture, pour offrir à chacun une image non pas violente ou absurde, mais chargée de sens et d’espérance. Au lieu du déferlement d’images formatées pour plaire au citoyen mondial qui le poussent à acheter, une image soignée, pensée, priée, qui pousse à contempler.
Bruno Desroche, le 28 mars 2020
Regard contemporain sur la passion du Christ
L’ensemble de 15 tableaux peints à l’huile met en scène des personnages du XXI° siècle autour du Christ. Ce projet a été inauguré en septembre 2019.
Les themes majeurs du Chemin de Croix
Contemporanéité : Personnages et sujets d’aujourd’hui
Ce Chemin de Croix vient actualiser la tradition, une tradition bimillénaire de la peinture occidentale : Représenter le Chemin de Croix dans l’environnement de l’époque. L’artiste a souhaiter par cette actualisation interpeller le spectateur d’aujourd’hui par l’anachronisme, et par des images claires et frappantes.
Pourquoi cette tradition ?
Montrer actualité de l’Evangile et de la Passion.
Interpeller le spectateur .. Et moi, qui suis-je?
Ce Chemin de Croix nous interpelle également sur le sujet des écrans et de notre rapport au monde:
virtuel (médiatisé, vu à travers les écrans et leurs chimères, esprit voyeuriste et consumériste d’images)
charnel (cf station 13 : le bourreau prenant le corps à bras le corps)?
Refus du manichéisme
L’invitation
Par cette oeuvre, nous souhaitons que toute personne puisse se sentir acteur de ce Chemin de Croix, en s’identifiant aux personnages et en rentrant dans la scène.
Le cheminement
L’oeuvre vient faire cheminer des bourreaux, devenant des compatissants au fil des stations. Les bourreaux et les compatissants sont joués par les même modèles, afin de ne pas enfermer l’autre dans son rôle de « méchant ».
La démarche de l'artiste
Sujet de l’évangélisation par l’image : enjeux missionnaires actuels !
Profiter de la révolution industrielle en cours, celle de l’image supplantant souvent l’écrit (7 milliards d’images échangées par jour dans le monde. 250 par jour par jeune), pour parler à nos semblables.
La Parole inspire l’image, et l’image renvoie à la Parole. « À l’origine de chaque tableau, la Parole de Dieu se fait chair picturale. Le tableau, en retour, renvoie le spectateur vers la Parole, dans le va-et-vient d’une (re)découverte permanente. »
Histoire de l’Eglise qui enseigne sa sagesse : Campagnes d’évangélisation par l’image après deux grands crises majeures :
- Après la réforme luthérienne : Concile de Trente (1564) dt les derniers decrets précise la bonne image à promouvoir dans les sanctuaiires et les foyers ! Conséquence : art baroque (Caravage, Rubens, Le Bernin, etc..) !
- Après la Révolution et sa tabula rasa, énorme résurgence missionnaire (72 % des ordres religieux actuels) et explosion architecturale, artistique, et picturale.
L’image figurative
Elle a un impact immédiat. Le réalisme aspire immédiatement le spectateur : jeunes et enfants et personnes âgées. Heureux de se sentir invités dans l’image, et pas rejetés par une œuvre hermétique, abstraite ou « intellectualisante » qui humilie celui qui n’y rentre pas et s’en attribue la faute « c’est parceque je n’y connais rien à l’art… »
L’ambivalence
Elle permet à la fois la discrétion esthétique de l’œuvre dans le sanctuaire et son intégration, mais aussi de saisir l’attention du spectateur, avec délicatesse et sans l’agressivité d’un art provoquant.
Ambivalence technique: techniques anciennes, tradition picturale (contemporanéité) et tradition du sujet christique ancien, mais actualité des sujets représentés. Pratiquer= transmettre ces techniques anciennes, naturelles et pérennes! gens très touchés par ce point.
Ambivalence artistique : figuration classique et technique de glacis, mais sujets actuels.
Le tableau non pas objet d’adoration ni fin en soi, mais l’occasion de contempler le Christ me rencontrant moi aujourd’hui. Cheminer avec le Christ souffrant et sauveur. L’accompagner sur ce chemin.
Ce n’est pas le tableau qui convertit, mais le Bon Dieu, qui est libre d’utiliser les canaux humains ou artistiques s’il le souhaite.
Expérience et choix de l'artiste
Cette oeuvre a été :
Un véritable appel personnel profond à exploiter un talent donné pour la mission d’Eglise.
Une expérience personnelle très forte pendant ces 3 années de réalisation ; Conversion, introspection, prière en travaillant, confiant ceux qui regarderaient…
Un Virage de vie. Après 11 ans d’enseignement, j’ai reçu un réel désir de répondre à cet appel à me consacrer pleinement à ce travail. C’est personnellement mais également en couple que nous avons accepter ce projet avec les risques matériels inérants mais confiants en la Providence.
Une Transmission par l’enseignement, et à présent transmission par la peinture.